Normal nous transporte à Calcutta, dans un centre des Missionnaires de la Charité, Shanti Dan, qui accueille des jeunes filles en situation de handicap. Entre les plis des draps, l'odeur du chaï fremissant, les fragments photographiques et textuels, le public est au cœur d’une narration fluctuante et malléable.

mars 2017 - Calcutta, Inde

Je suis bénévole pour les Missionnaires de la Charité, dans le centre de Shanti Dan qui accueille des jeunes femmes en situation de handicap. Les résidentes sont surnommées les Girls et les employées les Masis¹ . Le centre reçoit quotidiennement des volontaires, les Aunties², dont le rôle est de soulager, quelques heures par jour, le travail des Masis.

Un soir à la terrasse de l’Hôtel Galaxy, où je réside, je discute avec Marc, volontaire dans un autre centre. Nous parlons de notre  rapport au handicap. Je lui confie avoir éprouvé de l’appréhension avant de venir ici. Une fois sur place pourtant, les choses se sont faites naturellement. Une conversation s’engage sur la question de la norme.


lui me répond : ce qui nous fait peur,
c’est ce qui ne rentre pas dans nos cases.
ce qui est différent de la norme. et finalement la norme c’est quoi ?
le plus grand nombre, la majorité, non ? 


était-ce moi, finalement, qui n’étais pas dans la norme  ? 

À mon retour en France, cet échange devient le moteur créatif de l’oeuvre Normal. En haut de l’escalier permettant l’accès à l’installation, plusieurs draps sont tendus. Leur flottement accueille le public et fait écho à notre quotidien à Shanti Dan :


en arrivant, chacune se met en tenue
un tablier autour de la taille
un foulard dans les cheveux.
nous passons la matinée à étendre le linge sur les fils tendus sur le toit, sous le soleil.


chaque matin, je suis surprise par la quantité astronomique de draps lavés à la main par les masis.

Sous les draps étendus : une photo est découpée en sept. Prise à Kumartuli, le quartier des sculpteurs, on peut y voir deux pendals qui sèchent au soleil. Ces sculptures indiennes sont confectionnées dans des ateliers ouverts sur la rue.

émerveillé je regarde les artistes travailler.
certains commencent l’armature des pendals
d'autres façonnent les détails en argile qu’ils fixeront ensuite à l’armature.
j'observe leurs gestes. délicats. rapides.
deux pendals séchent sous les derniers rayons de soleil du soir.
je capture le moment. puissant et énigmatique.
à l’image de Calcutta.


À côté, deux présentoirs à cartes postales laissent entrevoir le quotidien de Shanti Dan et l’atmosphère de Calcutta. Quarante photos de la ville courent le long d’un mur, comme une pellicule qui se déroule sous les yeux du public. Un chaï frémit dans une marmite et diffuse une odeur caractéristique d’épices.

Par les relations qu’entretiennent ces différents éléments, et dans les interstices qu’ils créent, des récits émergent. Le public peut expérimenter un récit qui lui est propre grâce à son déplacement dans l’espace et par les choix qu’il·elle entreprend. Ainsi, une narration fluctuante ricoche entre les plis des draps, les fragments photographiques et textuels des cartes postales. Normal propose une narration malléable, manipulable et multiple.



1 : Masi signifie tante en Bengali
2 : Aunties signifie petites tantes en Anglais
© Les photographies ont été réalisées par Alexandre Costes
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